Montre-moi ton intestin, je te dirai comment arrêter de boire

Montre-moi ton intestin, je te dirai comment arrêter de boire

En Belgique, 8% de la population souffre d’alcoolisme. Des traitements médicamenteux existent., comme l’Acamprosate, la Naltrexone ou le Disulfirame. Ils ont une efficacité démontrée dans le domaine de l’abstinence. Cependant, la majorité des patients rechutent dans l’année qui suit une cure de désintoxication.

L’UCLouvain vient de découvrir une nouvelle piste pour traiter l’alcoolisme : elle passe par le microbiote intestinal. Cet écosystème composé de centaines de milliards de bactéries qui colonisent notre intestin joue un rôle dans le développement des symptômes émotionnels et cognitifs qui caractérisent l’addiction à l’alcool. C’est ce qu’une équipe de l’UCLouvain (la chercheuse Sophie Leclercq et les professeurs Philippe de Timary et Nathalie Delzenne) a découvert et vient de publier dans la revue américaine Cell reports.

Nathalie Delzenne, présidente du Louvain Drug Research Institute, détaille l’importance de cette recherche : « Il existe une composante biologique au fait que chez des patients dépendants à l’alcool, les 100.000 milliards de bactéries qui colonisent l’intestin peuvent jouer un rôle sur les phénomènes de dépression et de dépendance à l’alcool. L’intérêt de notre étude, c’est de démontrer que chez des patients qui sont dépendants à l’alcool, on peut voir des changements de la composition du microbiote intestinal, c’est-à-dire que ces bactéries ne sont pas les mêmes que chez des gens qui ne consomment pas chroniquement de l’alcool. Or, ces bactéries peuvent avoir une influence sur le cerveau.« 

Hips… dit la souris

L’équipe a transplanté de la matière fécale à des souris, à savoir du microbiote intestinal de patients alcooliques. Le but : étudier l’effet de cette transplantation sur leur comportement et leurs fonctions cérébrales. L’autre groupe « contrôle » de souris a reçu du microbiote intestinal de sujets non-alcooliques. Résultat : du côté des souris du groupe « alcoolisé », les sujets étaient plus dépressifs, plus stressées et moins sociables. Les chercheurs ont aussi constaté des modifications des voies neurobiologiques qui touchent des régions cérébrales importantes dans la régulation des mécanismes de récompenses aux drogues.

Trop d’éthanol, plus de déprime

En plus, les taux sanguins d’un métabolite (substance organique qui participe au métabolisme) produit par le foie ont diminué (le BHB). Pourquoi ? Car le microbiote d’un individu alcoolique surproduit l’éthanol, qui diminue la production de ce métabolite. Cela affecte non seulement le métabolisme, mais aussi le comportement.

« Les bactéries altérées vont elles-mêmes se mettre à produire de l’alcool« , explique Nathalie Delzenne, « ce qui est très curieux. Et ce phénomène-là va avoir des conséquences sur le foie, et le foie, lui, va changer la production de certaines molécules qui sont considérées comme protectrices pour le cerveau, en tout cas qui protègent contre la dépression, ou même contre les altérations sociales qu’on peut voir chez des patients alcooliques« .

Effectivement, moins il y a de concentration de métabolite BHB dans le sang, plus les symptômes psychologiques sont sévères : les individus avec des taux bas de BHB étaient plus dépressifs, moins sociables et présentaient une appétence à l’alcool plus élevée.

Le microbiote comme cible thérapeutique

On connaissait déjà l’importance du microbiote et de l’intestin comme « deuxième cerveau ». Cette recherche ouvre de nouvelles perspectives pour les patients alcooliques. Le microbiote intestinal pourrait devenir une nouvelle cible pour les soigner, puisque l’axe intestin-foie-cerveau joue un rôle dans la pathologie alcoolique.